Depuis longtemps, la fertilité est considérée comme la pierre angulaire d’une production laitière dynamique. La raison en est simple puisque la vache ne produit de lait qu’après avoir vêlé et tout vêlage est suivi, quelques semaines plus tard, d’un pic de production. Plus vite une vache sera à nouveau gestante, plus vite elle vêlera et entrera dans une phase de pic de production. Autrement dit, plus l’intervalle vêlage est bref, plus il y aura de pics de production et donc de lait.

Ce phénomène est un peu moins marqué chez les primipares en raison d’une bien plus forte persistance, ce qui rend moins nécessaire un nouveau pic de lactation. Pourtant, cette vision peut être sujette à controverse. On sait que chaque vêlage provoque du stress chez la vache (et chez l’éleveur) et entraîne des maladies chez pas mal de vaches, qu’il s’agisse de problèmes à l’utérus, de la fièvre de lait, de l’infection de la mamelle, du déplacement de la caillette ou encore de la cétonémie.

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Lorsque l’intervalle vêlage est court, le risque existe qu’il faille tarir des vaches alors qu’elles ont encore une production de 30 litres ou plus. Pour les vaches d’aujourd’hui, il y a plusieurs raisons qui poussent à remettre en cause le vieux dogme concernant la fertilité. De plus en plus j’entends des remarques de ce genre: ne faudrait-il pas détenir des vaches laitières comme on le fait pour les chèvres laitières? Si cette façon de voir peut se défendre de certains points et qu’elle est souvent défendue au nom du bien-être animal, la recherche scientifique contemporaine, tout en intégrant ces arguments, continue de soutenir et de conclure qu’une bonne fertilité est la force motrice dans une exploitation laitière moderne.

En pratique, on renvoie souvent au critère de la moyenne de jours en lactation dans une exploitation. Tout comme une vache en lactation présente une courbe de lactation, on peut dire qu’il existe une sorte de courbe de lactation dans l’exploitation, qui reflète la courbe de lactation des vaches en production à ce moment. On sait que l’efficacité alimentaire des vaches est la plus élevée au cours des premiers semaines et mois après le vêlage. Cela s’explique par le fait qu’elles sont ‘poussées’ par leurs hormones à produire beaucoup. Des taux sanguins faibles d’insuline et des taux élevés d’hormone de croissance optimalisent l’efficacité alimentaire et donc la production laitière. Cela vaut également au niveau de l’exploitation prise dans son ensemble ! Plus le nombre moyen de jours de lactation des vaches est faible, plus la production laitière est efficace. Idéalement le nombre de jours de lactation se situe entre 160 et 180 jours. Lorsque ce nombre moyen dépasse les 200 jours, la production sera médiocre. Sur le terrain, la recherche a démontré que quand on baisse le nombre moyen de jours de lactation (dans le cas de 200) de 30 jours la production s’accroît aisément de 10 %. Le nombre moyen de jours de lactation dépend étroitement de l’intervalle vêlage dans une ferme. Pour les exploitations où les vêlages se produisent tout au long de l’année, cela devient en quelque sorte un nouvel indice permettant de mesurer la fertilité.

Les études ont mis en lumière que chez les vaches qui ont eu un vêlage sans anicroche et dont le placenta a été expulsé à temps, on détecte une légère réaction inflammatoire de l’utérus jusqu’à 50 jours après le vêlage.

Multifactoriel

Si les problèmes de fertilité sont multifactoriels, les facteurs liés au management en sont la cause principale. Nous visitons fréquemment, en compagnie de nos étudiants, des exploitations dont l’éleveur se plaint de problèmes de fertilité de ses vaches. Ces plaintes peuvent varier fortement, allant de l’endométrite après le vêlage à des remarques comme celle-ci: « je n’observe pas de chaleurs ». Mais la remarque la plus fréquente est plutôt de type « j’ai beaucoup à avoir des vaches gestantes, alors que je paie une fortune pour les paillettes de semence »

ou encore sur les intervalles vêlage de plus en plus longs. Dans la majorité des cas, les éleveurs concernés s’attendent à ce que, après analyse de la situation, nous puissions identifier une cause unique de cet état de fait et donner une solution pour résoudre le problème. Ce qui nous frappe, c’est que l’éleveur estime souvent qu’il existe un problème spécifique qu’il ne parvient pas à repérer et qu’il est donc dans l’incapacité de le résoudre. C’est souvent le cas lors d’une endométrite chronique : l’éleveur pense en effet que la cause est une bactérie très spécifique qui infeste son élevage. Son espoir est que nous puissions rapidement identifier la bactérie et lui conseiller quel antibiotique administrer.

Il est tout aussi étonnant de constater qu’il cible d’abord les vaches lorsqu’il y a des problèmes, soit qu’elles n’entrent pas en chaleur, soit qu’elles ne soient pas gestantes. L’éleveur incrimine alors une forte production laitière ou une carence en vitamines ou minéraux dans le sang ou encore une infection virale ou bactérienne.

Seulement, les recherches scientifiques, tout comme mes expériences personnelles sur le terrain, nous apprennent que cela ne se vérifie pas dans la plupart des cas. Les problèmes de fertilité trouvent le plus souvent leur origine dans divers facteurs qui ne sont pas suffisamment maîtrisés au niveau de l’exploitation. Par ailleurs, il a été démontré à de multiples reprises que ce sont principalement des défaillances de gestion qui sont à la base des problèmes de fertilité et que l’état des vaches est plutôt secondaire. D’où l’importance, dans une ferme laitière confrontée à une problématique de fertilité, de s’interroger sur des questions de management: Qui fait quoi, où et quand?

Qui insémine la vache?

Les recherches effectuées dans différents pays ont mis en évidence qu’il existe des écarts dans les résultats de gestation obtenus par différents inséminateurs. La maîtrise professionnelle, l’habilité, la quiétude, la façon de gérer le stress, l’attention pour les détails, voilà autant de facteurs humains qui ont bel et bien leur importance dans les résultats obtenus par les inséminateurs professionnels. Les mêmes remarques

valent pour les éleveurs qui inséminent eux-mêmes. Les uns sont plus habiles que les autres et plus soucieux de détails. Une étude anglaise a mis en lumière qu’une exploitation doit détenir au moins 70 vaches s’il veut avoir suffisamment d’expérience en insémination. L’expérience montre par ailleurs que ceux qui inséminent eux-mêmes devraient suivre tous les cinq ans une courte formation de remise à niveau.

Ce qui frappe, c’est que l’éleveur incrimine trop souvent les vaches lorsqu’elles présentent des problèmes de fertilité.

Avec quoi insémine-t-on les vaches?

Ici nous évoquons bien entendu la qualité du sperme. En se basant sur les analyses des paillettes de sperme effectuées dans notre faculté, on peut clairement affirmer que les paillettes vendues par les centres d’IA contiennent suffisamment de spermatozoïdes viables pour féconder les vaches. Il existe évidemment des différences significatives quant au potentiel des différents taureaux, un facteur dont les centres d’IA tiennent bien sûr compte lorsqu’ils commercialisent les paillettes. Ceci, il est tout aussi important de savoir comment on conserve ces paillettes dans l’exploitation. La cuve d’azote est-elle régulièrement approvisionnée? Connaît-on l’emplacement des paillettes pour éviter de devoir les chercher trop longtemps ? Décongèle-t-on correctement les paillettes? En raison de la croissance constante des troupeaux, il arrive fréquemment que plusieurs vaches soient en chaleur simultanément et qu’il faille donc les inséminer au même moment. En hiver surtout, lorsque le danger de choc thermique est le plus grand, il faut éviter de décongeler trop de paillettes en même temps. La règle d’or veut qu’on ne décongèle pas plus de trois paillettes en même temps pour inséminer des vaches.

Le où se rapporte à la vache

La vache, c’est une évidence, joue un rôle crucial dans le fait d’être en gestation ou non. Commençons par les chaleurs. Nous avons établi que chez nous, une vache inséminée sur douze n’était pas en chaleur. Cette vache ne peut évidemment être gestante puisqu’il n’y a pas d’ovule à féconder. Un cas de figure qui peut se présenter est celui d’une vache atteinte d’endométrite au moment où elle devrait être inséminée. D’autres situations qui peuvent se produire : une balance énergétique très

négative après le vêlage, une vache ayant souffert de boiterie qui l’a empêchée d’ingérer suffisamment de matière sèche et de manifester des signes de chaleur. Il est évident que la chance d’entrer en gestation suppose que la vache soit bien en chaleur, qu’elle ait un utérus sain et que son état de santé général soit bon avant d’être inséminée. Notons que tout ce que nous avons énuméré ici est tout autant fonction de l’éleveur que de la vache elle-même. Percevoir si la vache est bien en chaleur suppose une détection efficace des chaleurs. Quant à la balance énergétique négative elle dépend fortement de la ration et de la manière dont elle est distribuée. Et la boiterie peut être la cause de soins défaillants aux onglons, etc.

Quand inséminer les vaches?

Les études ont mis en lumière que chez les vaches qui ont eu un vêlage sans anicroche et dont le placenta a été expulsé à temps, on détecte une légère réaction inflammatoire de l’utérus jusqu’à 50 jours après le vêlage. Chez les vaches ayant eu vêlage laborieux ou dont le placenta a été retenu pendant plus de 24 heures, cette infection dure au moins 20 jours de plus. Voilà la raison pour laquelle on n’obtiendra des résultats satisfaisants de gestation que si l’on insémine 50 à 75 jours après le vêlage. Je suis bien conscient qu’il y a des vaches qui peuvent être gestantes un mois seulement après avoir vêlé. Mais si l’on procède de façon générale à des inséminations systématiques aussi précoces, il est inévitable que les résultats en termes de gestation seront en général très décevants.

Le moment d’inséminer pendant les chaleurs a également son importance. Chez la vache, l’ovulation se produit environ 12 heures après la fin des chaleurs. Les vaches doivent donc être inséminées à la fin des chaleurs. La règle classique (chaleurs le matin, IA l’après-midi ou chaleur l’après-midi, IA le lendemain matin) reste donc d’application pour les vaches d’aujourd’hui.

Le ‘Qui, quoi, où, comment?’ est la question à se poser par un éleveur dont les vaches éprouvent des difficultés à être gestantes. Les bons résultats en matière de gestation ne peuvent être obtenus que par une

attention accrue à des détails à divers niveaux. La pratique nous montre cependant que cela est rendu plus difficile dans les exploitations d’aujourd’hui qui ne cessent de grandir. Les exploitations deviennent tellement grandes qu’il est devenu très compliqué pour l’éleveur de mener correctement à bien la détection de chaleurs, les soins aux onglons, la présence lors des vêlages, etc.

Fort heureusement, les progrès techniques mettent à disposition des instruments de plus en plus efficaces pour épauler l’éleveur et alléger les tâches. Parmi ces outils, il y a notamment les compteurs d’activité et les pédomètres dont la fiabilité est de plus en plus grande. Ces instruments permettent d’identifier avec une assez grande précision quelles vaches sont en chaleur et à quel moment des chaleurs il convient de les inséminer pour avoir la meilleure chance de gestation.

La règle d’or veut qu’on ne décongèle pas plus de trois paillettes en même temps pour inséminer des vaches.

Article parru dans le no. 3 (mai-juin 2022) du magazine Lait&Elevage

Texte : Geert Opsomer, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Gand | Photos: Twan Wiermans

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