Après des mois de manifestations d’envergure chez les agriculteurs, l’UE se met à bouger. « À travers ses premières propositions de mars sur la position des producteurs dans la chaîne de production alimentaire, la Commission européenne démontre qu’elle a au moins entendu la problématique de la position des agricultrices et agriculteurs sur le marché. Désormais, il s’agit de concevoir des mesures et des instruments pour mettre un terme à l’exode des paysans de la production agricole et sécuriser l’avenir de la production interne de denrées alimentaires au sein de l’UE », explique Kjartan Poulsen, Président de l’European Milk Board asbl (EMB).
L’organisation faîtière de défense des producteurs de lait salue l’avancée de la Commission européenne mettant en relief la position des producteurs, mais elle voit néanmoins une belle marge de progression. La situation des agriculteurs est plus que critique et l’Europe doit avoir pour priorité absolue de l’améliorer. Pour activer les bonnes mesures, il faut respecter un certain nombre de points essentiels. Dans ce qui suit, l’EMB entend procéder à une analyse des propositions de la Commission et soumettre des recommandations d’approfondissement, afin que lesdites mesures permettent réellement d’atteindre leur objectif de soutien des agriculteurs dans la chaîne de production :
1. Mise en place d’un observatoire des coûts et des marges de production, ainsi que des pratiques commerciales au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire au sein de l’UE, dont la Commission, les États membres et les groupes d’intérêt (comme les agriculteurs, les industriels de l’agroalimentaire, les distributeurs et les consommateurs) doivent être parties prenantes.
Un tel observatoire pour collecter des données fondamentales est nécessaire. Ce dernier ne doit toutefois pas être un simple club de discussion et d’échange des acteurs de la chaîne de production alimentaire, mais un lieu d’action. « Nous proposons donc qu’un mécanisme intégrant des données relatives aux coûts, aux prix, marges, etc. soit conçu permettant, en temps de crise, par exemple, de déclencher automatiquement, et par conséquent dans des délais raisonnables, des instruments tels que la réduction volontaire aux livraisons », poursuit Kjartan Poulsen. « Nous recommandons de s’inspirer du programme de responsabilisation face au marché PRM ». Voir les détails ci-dessous :
https://www.europeanmilkboard.org/fileadmin/Dokumente/Positions_EMB/Market_Responsibility_Programme/MVP_FR.pdf
2. Renforcement des dispositions contractuelles au niveau européen
Les améliorations passent par des contrats et un cadre légal adéquat. Toutefois, ces contrats doivent bénéficier d’une structure adaptée et être accessibles à tous les agriculteurs. La place des producteurs et la stabilité de notre structure de production au sein de l’UE ne pourront être suffisamment améliorées que si l’on impose des prix rémunérateurs dans les contrats et que les contrats valent également pour les membres de coopératives. Pour soutenir les dispositions contractuelles, il faudrait une réglementation européenne stipulant que les prix producteurs doivent être supérieurs aux coûts de production. Ce qui constitue l’évidence dans d’autres secteurs, à savoir, que les coûts doivent être répercutés et se refléter dans les prix – ne l’est pas dans de nombreux domaines du secteur agricole.
La main invisible du marché exerce une pression sur les prix et les poussent très clairement en-dessous du niveau des coûts de production. Une réglementation européenne interdisant la non-couverture des coûts de production induirait une stabilisation des revenus et par ce biais des structures de production dans toute l’UE. Il faudrait également tenir compte des transformations du marché et des coûts. « L’EMB a élaboré un concept pionnier en ce sens », informe le Vice-président de l’EMB, Elmar Hannen. Vous trouverez sous ce lien le projet de l’EMB pour un tel règlement :
https://www.europeanmilkboard.org/fileadmin/Dokumente/Positions_EMB/2024_VPUEK_Preise_ueber_Kosten/Final_Entwurf_Verordnungsartikel_Gebot_Preis_oberhalb_Produktionskosten_EU-Ermittlung_FR.pdf
3. Renforcement des organisations de producteurs et de leurs fédérations
Les organisations de producteurs peuvent contribuer à soutenir les agriculteurs sur le marché. Les mesures visant à les encourager sont donc à saluer. Il faudrait néanmoins jeter les bases suivantes :
- Augmenter les limites de concentration : Les organisations de producteurs peuvent négocier pour le compte d’un groupe de producteurs dans le respect d’une certaine part de marché maximale, de manière à pouvoir faire face à un transformateur plus puisant sur le marché. Cette limite de concentration est de 4 pour cent à l’échelle européenne et de 33 pour cent en général au niveau national. Or ce niveau de concentration n’est toutefois pas suffisant, si l’on considère que dans le secteur laitier, certaines laiteries possèdent des parts de marché bien supérieures. La forte concentration des laiteries doit trouver en face d’elle une plus forte concentration du côté des producteurs pour que les deux parties atteignent des positions similaires sur le marché laitier. Il devrait ainsi pouvoir être possible que des regroupements de producteurs puissent atteindre un seuil de concentration bien supérieur à 10 pour cent à l’échelon européen afin de pouvoir agir d’égal à égal.
- Négocier également avec des membres de coopératives : Les membres de coopératives sont exclus de la possibilité de se faire représenter par des organisations de producteurs. Toutefois, dans de nombreux pays de l’UE, plus de la moitié des producteurs laitiers sont membres d’une coopérative. Comme l’explique Elmar Hannen, ils souffrent tout autant que leurs collègues au sein de laiteries privées de prix bien trop bas, ils devraient donc leur être donnée la possibilité de se faire représenter par des organisations de producteurs lors des négociations avec leurs coopératives. « Croire que les producteurs membres de coopératives n’ont pas besoin de représentants pour défendre leurs intérêts de manière groupée est une vue de l’esprit », poursuit M. Hannen.
4. Création d’un cadre pour des projets de commerce équitable
La Commission fait référence dans son document à des projets de producteurs tels que Fairebel en Belgique ou encore FaireFrance en France, qui garantissent des prix équitables aux éleveurs laitiers grâce au « Lait équitable ». Boris Gondouin, membre du Comité directeur de l’EMB, explique que ces projets doivent être renforcés étant donné qu’ils portent une fonction d’exemple extraordinaire pour toute l’Europe. « Toutefois, il est important que les nouvelles réglementations aient un véritable effet de soutien et ne viennent pas entraver les projets. Pour y parvenir, il faut tenir compte du contexte des projets de producteurs qui sont très difficiles à structurer sur place », poursuit M. Gondouin.
Partant de ce contexte, les projets ayant réussi à développer des structures adéquates doivent bénéficier de la souplesse nécessaire. Le projet du Lait équitable de l’EMB existe depuis plusieurs années et il continue de progresser dans cinq pays grâce à des éleveurs engagés qui le portent. « C’est un projet extraordinairement positif et optimiste qu’il convient de protéger et de soutenir dans toute l’Europe », affirme Boris Gondouin.
Il est plus que manifeste que l’Europe ne peut plus rester muette face aux problèmes du secteur agricole et qu’il faut enfin une réaction de la part des politiques. Trop longtemps, on a accepté la fatalité de ce déséquilibre et fermé les yeux sur le sort des agriculteurs, soumis à une pression de plus en plus forte, jusqu’à se faire littéralement pressurer. Toutefois, on ne saurait se contenter de n’importe quelle mesure à l’échelle européenne. L’EMB appelle les responsables politiques européens ainsi que toutes les parties prenantes, à travailler à la mise en œuvre et à l’application des bonnes mesures nécessaires. Celles-ci doivent veiller à ce qu’on arrive enfin à imposer des prix producteurs rémunérateurs et donner envie aux jeunes de renouer avec le chemin de la production agricole. Ce n’est qu’alors que nous aurons un secteur agricole stable et viable, ainsi qu’une production alimentaire fiable et sécurisée.