Pendant des siècles, les paysannes de Zélande préparaient ce qu’on appelle les ‘babelaars’, autrement dit les ‘bavards’. Dans certains villages, on les préparait le vendredi et le samedi, pour en avoir pour toute la semaine suivante. Les ingrédients étaient des plus simples: du beurre, du sucre, du vinaigre et une pincée de sel. On mélangeait le tout dans un poêlon qu’on faisait chauffer jusqu’à obtenir un mélange liquide qu’on déversait ensuite sur une plaque de cuisson ou une surface en dur, par exemple du granit. L’étape suivante consistait à retourner plusieurs fois le mélange et à l’étirer jusqu’à ce qu’il soit suffisamment refroidi pour qu’on puisse en faire une sorte de tresse qu’on découpait en dés. On laissait ensuite refroidir entièrement les friandises et le tour était joué.
Les babelaars étaient servis accompagnés de café, à l’occasion d’un moment de pause dans la journée, en famille ou avec des gens de passage. C’est d’ailleurs de là que remonte l’étymologie du mot: ces pauses donnaient lieu à des bavardages et des discussions. Selon d’autres sources, la signification est différente: lorsqu’on mangeait ces friandises, la bouche faisait des mouvements qui évoquent le fait de parler. Quoi qu’il en soit, au fil du temps, la confection de ces bonbons se répandit dans la population de la région. Au début du vingtième siècle, les pâtissiers se sont mis à reprendre cette recette dans leur assortiment, en particulier un certain Johannes Bernardus Diesch, de Middelburg, qui avait commencé à s’intéresser aux caramels au beurre dès 1892. Assez rapidement, le comptoir de sa boutique allait se garnir de grands bocaux remplis de babbelaars. Des années plus tard, il lança une boîte de conserve de ces friandises, avec la représentation d’une paysanne en habits traditionnels de Zélande. Notons que cette entreprise existe toujours et qu’elle continue de proposer ce produit phare, reconnaissable à son emballage sur lequel figure encore la paysanne zélandaise.
Du panier à la chaîne
Déplaçons-nous un peu vers l’ouest, toujours au dix-neuvième siècle, mais en Belgique cette fois. Une certaine Rosalie Desmet épousa un homme qui était tour à tour pêcheur d’Islande, vendeur de boules de Berlin et menuisier en hiver. Après son mariage, le couple déménagea à Heist. Tous deux connaissaient les babbelaars. Rosalie avait vu sa mère en préparer et son mari les connaissait en tant que pêcheur et avait pu en apprécier les vertus énergétiques. Rosalie eut la bonne idée d’emballer individuellement les bonbons dans un bout de papier et de les déposer dans un panier et s’en allait ensuite les vendre sur la digue. Seulement, comme les touristes francophones avaient du mal à prononcer le mot babbelaar, ils le transformaient en babelutte. C’est ainsi que Rosalie reçut le surnom de Moeder Babelutte. Face au succès grandissant de son commerce, elle choisit d’ouvrir une boutique, qui allait bientôt ne plus désemplir. Au fil du temps, l’entreprise grandit au point de compter aujourd’hui des points de vente à La Panne, Ostende, Blankenberge, Wenduine, Heist, Nieuport, Bruges et Sluis.
A travers le monde
Depuis, il existe bon nombre de variantes belges aux babeluttes, surtout en Flandre-Occidentale où on les appelle aussi des lards au beurre. Il en existe qui contiennent moins de beurre, mais davantage de lait ou de crème. Mais la formule des caramels au beurre n’est pas l’apanage de la Belgique. C’est ainsi qu’en Allemagne, on trouve les fameux Werther’s Original, dont le nom renvoie au village Werther où le bonbon aurait vu le jour en 1903, créé par un confiseur. Il utilisa de la crème, du beurre, du sucre et du sel. Bref, des ingrédients qui renvoient à s’y méprendre à la recette des babbelaars. Reste à savoir si le confiseur en question avait eu ou non connaissance de ce qui se faisait en même temps en Belgique et en Zélande. Mais il y a également l’Amérique du Sud où l’on trouve des ‘tabletas de leche’ (tablettes de lait). En Argentine, notamment, on trouve des noms tels que Vaquerita (petite vachère) et Vaquita (vachette), qui évoquent la pasta dulce de leche, très populaire dans ce pays d’Amérique latine.
Lancé il y a une bonne centaine d’années, le babelutte était une des rares friandises sur le marché. Aujourd’hui, les variétés de bonbons sont innombrables. Mais le babelutte est toujours bien là.
Texte et photos: Koen Vandepopuliere
Des babeluttes et un misérable à la crème de babelutte chez Moeder Babelutte à Heist.